La chronique que Bernard Guetta a écrite récemment pour Libération mériterait d'être distribuée sous forme de tract. Notre confrère y pourfend l'attitude des
écolos qui, dans leur majorité, se sont prononcés contre le pacte de stabilité Sarkozy-Merkel en utilisant cet argument a priori imparable : ce type de pacte n'est jamais respecté ! Et celui-là
ne le sera pas davantage, d'autant qu'il n'est pas... respectable. Donc, se prononcer contre lui est condamnable. Ah bon ? Mais alors votons pour une loi qui abolirait la pauvreté et pour une
autre qui déclarerait le crime hors la loi. La faute des écolos ? Ils étaient contre ce pacte avant l'élection présidentielle, comme les socialistes d'ailleurs ; après la victoire d'Hollande,
il s'agit toujours du même pacte et ils y sont toujours opposés, alors que les socialistes, eux, y sont devenus favorables. Or, selon Guetta, les socialistes ne sont pas incohérents ; ce sont
les écolos qui sont idiots.
Extraordinaire paradoxe : tant que les écologistes débitent de sympathiques insanités
ou se livrent à d'ahurissantes magouilles politiciennes, ils sont acclamés par les médias bien-pensants. Pour une fois qu'ils se comportent de façon logique, c'est haro sur le baudet
!
En vérité, le pacte Sarkozy-Merkel est l'un des pires traités auxquels nous ayons été
confrontés au cours de l'histoire récente. Quinze députés UMP sarkozystes ont d'ailleurs proclamé qu'en matière de démission démocratique et nationale, il pouvait être comparé à l'armistice de
1940. Ils n'ont donc pas hésité à assimiler Nicolas Sarkozy au maréchal Pétain. C'est évidemment absurde.
Que peut-on, en revanche, dire et constater ?
1- Ce pacte est antidémocratique puisqu'il retire aux électeurs et aux parlements
le droit, jusqu'ici sacré, de fixer la politique financière et budgétaire de
leurs pays respectifs. Deux nations dominantes, et en vérité une seule, car Nicolas Sarkozy n'a fait que se soumettre aux desiderata d'Angela Merkel, ont planifié ce que devrait être dans
l'avenir le développement économique des pays membres de l'Union, comme l'Union soviétique le faisait du temps où, au sein du Comecon, les pays satellites devaient se plier à ses
directives.
2- Le pacte est inconséquent puisqu'il rigidifie des orientations dont l'objectif
est en soi juste et vertueux, mais sans tenir compte des aléas qui pourraient
ponctuellement en rendre l'application désastreuse. C'est ainsi que, si ce pacte avait existé en 2007 et s'il avait été appliqué en 2008 (mais l'aurait-il été ? Sans doute pas !), les économies
des principaux pays européens auraient connu un effondrement cataclysmique.
3- Ce pacte est inadéquat à la logique de la construction européenne puisqu'il
impose une discipline propre à un Etat démocratique et fédéral, alors que
l'Europe, à cause du traité constitutionnel qui a été adopté (bien que refusé par les Français...), a tourné le dos à la logique fédéraliste et ne s'est pas dotée d'institutions
démocratiques.
4- Ce pacte est dogmatique dans la mesure où il grave dans le marbre le type de
politique qui, appliquée à mauvais escient, à contretemps ou de façon
brutale, est en train de provoquer la catastrophe humaine, sociale et productive que connaissent la Grèce, l'Espagne ou le Portugal.
Nous sommes en train de revivre le décalage du référendum constitutionnel européen : la
quasi-totalité des médias — patrons de presse, éditorialistes, chroniqueurs, rédacteurs en chef — soutiennent ce pacte, alors qu'une forte majorité de citoyens le repousseraient en cas de
référendum.
En réalité, ce pacte est franco-allemand. Il a reçu la signature des plus hauts
responsables de ces deux pays qui ont, du coup, entraîné les autres pays de la zone euro dans leur sillage. Le défaut de l'un des signataires aurait donc des conséquences déstabilisatrices
considérables. Car ce pacte est devenu aux yeux des marchés financiers une véritable boussole. Une ligne de clivage. Si la France décidait de ne plus le cautionner ou de le désavouer, la
sanction serait sans aucun doute immédiate. Les marchés soupçonneraient, hélas, Paris de choisir la fuite en avant au prix d'un creusement des déficits et d'un gonflement de sa dette. Les taux
d'intérêt remonteraient aussitôt à 5 % et plus, ce qui serait un désastre pour la France.
Voilà comment, par la faute de Nicolas Sarkozy qui, pour des raisons inavouables, a
signé un pacte diabolique, et par la faute de François Hollande qui n'a pas pu, ou pas su, le renégocier, la France s'est retrouvée quasiment condamnée à approuver un texte désastreux. Et donc
à se coucher une fois de plus devant les marchés financiers.
Toujours est-il que l'essentiel reste à faire : bâtir une Europe avec les peuples, et
non contre eux. Une Europe qui donne envie d'aimer l'Europe, avec une véritable harmonisation sociale et fiscale et une solidarité digne de ce nom entre les Etats
membres.
En attendant, puisse notre ami Bernard Guetta avoir raison ! Puisse ce pacte ne jamais
être appliqué !